de Ton Nom de Palestine

Olivia Elias

IV

Musiciens encore quelques minutes
le croissant de lune pâlit
tandis que le soleil monte à l’horizon
l’aube rosit
Voilà l’heure préférée entre toutes
bientôt il faudra lever les enfants


Il y a comme cela des jours tranquilles
où on se laisse aller à rêver d’une vie semblable
à toutes les vies sur terre
une vie dans laquelle l’on habiterait des lieux
que l’on n’aurait pas quittés
Et puis il y a les jours qu’il faut marquer d’un signe
fiançailles épousailles naissances
Les convives seront bientôt là
les grandes tables sont dressées
la musique est prête à s’envoler
la nuit sera pleine de danses et de chants


Musique




V

Musiciens je vous parle d’un pays
englouti dans une faille de l’histoire
d’un peuple choisi pour payer le prix
d’un autre sacrifice
d’une histoire de plus de cent ans
pleine de fureur de bruit et de sang
Derrière les mots trafiqués
guerre propre
frappe chirurgicale
c’est toujours la même réalité noire
Pillages chantage extorsions
Soleil décapité lune vitriolée
Nuages crevés d’avoir trop déversé de bombes
Les animaux affamés se nourrissent de balles
s’ils le pouvaient ils courraient se jeter à la mer
pour s’y noyer



Territoire traversé de colère et de rage
Tremblement du jour et du béton
les immeubles s’effondrent
l’un après l’autre
sur des humains coupables
de vouloir vivre
Un seul choix mourir ici ou là



Ruines sur ruines
et parmi les ruines une vision
une poupée de chiffon
sur le mur Batman bondit
à côté d’une souris rose
un cerf-volant s’est fait la malle
une guitare désarticulée sur la table
près du sofa quelques coussins
une chaise en plastique
Au milieu de la pièce flottent
les longs cheveux noirs de Yasmine
Brahim lui chuchote à l’oreille
des histoires du temps qu’il fait
et des jeux qui ont repris sur la plage
C’était ma chambre . . .



Les criquets se répandent dans les champs
et rongent les plantes jusqu’à la racine
L’histoire fait plus que balbutier
Arès dieu de la guerre a levé le bras
Le carnage peut commencer
Tout brûle champs et villes
D’immenses champignons
fleurissent dans les cieux
Plus de poules dans le poulailler
Cadavres de chevaux et de bêtes
Les médecins cherchent les âmes
Sont-elles encore là?
Ont-elles déjà quitté les corps?
Partout l’odeur âcre de la mort



Temps d’infinie tristesse
Ô Palestine de rose et de jasmin
habillée de dignité rêvant d’impossible
Ivres de puissance ils ont accroché ta dépouille
à l’arrière de leurs chars
et défilent en faisant le V de la victoire
pour parfaire ton écartèlement


Est-ce ainsi que les hommes vivent
et leurs baisers au loin les suivent?


Musique




VI

Dans l’arène corrida parfaite
espace clos ce ghetto de Méditerranée
avec pour point d’orgue la mise à mort
sous les applaudissements des afficionados
groupés sur les hauteurs

Le matador vise par devoir
Rien ne doit bouger
Ni femme ni enfant
Ni jeune ni vieillard



S’ils sont restés c’est
parce que ce sont des combattants
affirme le Commandant
ou alors des mères et des pères
de combattants
des ancêtres de combattants
des enfants de combattants
des enfants d’enfants de combattants
Tous sans exception


Le matador vise par lassitude ou par ennui
des fois « juste-pour-le-plaisir »
Tuer-juste-pour-le-plaisir


TUER       PLAISIR TUER                           PLAISIR
    TUER         PLAISIR             TUER PLAISIR



La guerre est une drogue dure
qui exige la répétition
pour être à la hauteur de l’infini de la mort
Flammes de vie et poussière d’étoiles mêlées
tourbillonnent sans fin dans un gouffre
insondable

Au bord de l’abîme les yeux des survivants
interrogent
Qu’êtes-vous devenus
et vous qui les regardez?




VII

Musiciens je vous parle d’une vie dans l’œil du cyclone
fracassée par les assauts des vagues scélérates
d’une vie chavirée dans la zone des quarantièmes
rugissants
d’une vie lézardée à la merci des Puissants
Le grand frère d’Amérique qui agite frénétiquement
son hochet sur lequel est marqué Droit de veto
Dame Europe qui vêtue de sa belle robe
observe du haut de sa tour les peuples « inférieurs »
se débattant en enfer
Elle ne sait que répéter en dodelinant la tête
la même ritournelle