de Mes Forêts

Hélène Dorion

Je n’ai rien déposé
au pied du chêne rien
à l’ombre du saule

je ne me suis adressée ni aux faibles
ni aux puissants

je n’ai pas vu le veilleur
à l’entrée de la mer
pas vu le jardinier cueillir le crocus
d’un printemps
pas trouvé
le miel et la soie

pas vu le ciel dans l’étang
quelque chose de la solitude
rien
qui laisse paraître la déchirure

je me suis assise
au milieu de ces vastes alliés
sans voix
le temps continue
de s’infiltrer dans la terre
gorge les rochers

le pas des animaux
s’accorde à la lumière

par la lenteur du monde
je me laisse étreindre
je n’attends rien
de ce qui ne tremble pas



*

À la table du silence
je suis cette branche
qui avance comme va le vent
sans père ni mère
des années de nulle part
poussées vers demain

je suis cette ramille qui frémit
au bout du vide
trace un invisible chemin
vers l’horizon
chaque souffle
me dépouille d’un feuillage
me laisse vacante
comme la lumière qui va
elle aussi vers le soir



*

Parfois je sarcle le sol
arrache un peu d’herbe et de mousse
je laisse mes questions
se frayer un chemin
au-dessus du néant
elles flottent
recouvrent de froid la terre nue

et font le bruit du marcheur
qui approche
comme l’érable en feu
au bord de sa chute



*

Tu t’arrêtes
pour que traversent
à l’embranchement
les chagrins jamais avoués
de tant de visages
éparpillés parmi les heures
gestes et tâches
qui ensemencent nos vies



*

Il fait un temps d’insectes affairés
de chiffres et de lettres
qui s’emmêlent sur la terre souillée
un temps où soufflent des vagues
au-dessus des vagues

dans nos corps
il fait un temps d’arn
de ram zip et chus
sdf et vip
il fait triple k
usa made in China
un temps de ko
pour nos émerveillements
il fait casse-gueule
un bruit de ferraille
déchire le paysage
comme un vêtement usé

il fait refus et rejet
un temps de pixels d’algorithmes
qui nous projettent
sur des routes invisibles
avec l’avenir comme promesse
que le vent dévore aussitôt
un peu d’écorce et de feu
au creux de la main
il fait chimère
et rêve de rien du tout
un siècle de questions rudoyées

le bord d’une falaise
où chutent nos poèmes
et la neige
nous apprend à perdre
tout ce que l’on perdra



*

Je m’incline souvent
devant la figure unique
d’un jeu de feuilles et de branches

la maigre cicatrice de l’écorce
le nœud dans le bois dur
l’arbre n’échappe pas à sa souffrance
il n’est rien d’autre que lui-même

avec la longue respiration des saisons
il regarde par les yeux du vent

de ses racines
et de l’anneau des années
il ignore tout

et je m’incline encore
pour écouter son voyage immobile