de La Main de la main

Laura Vazquez

La forme de ma forêt

Le premier matin de ma vie,
la guêpe est venue dans ma bouche.

Alors,
j’ai senti les peaux
se tordre sur mon ventre.

J’ai senti ma figure
se fixer à mes yeux,
se coller à ma langue,
s’accrocher à mes dents.

Alors,
j’ai senti les cheveux
s’attacher sur mon crâne,
j’ai couvert, recouvert, la forme
de moi-même.

 

Alors,
j’ai senti les buissons
dans mon ventre,
les renards dans mes seins,
les pieuvres dans mon cou,
les orties,
les graviers.

J’ai senti le volcan.

Alors,
j’ai senti les épines
et les ronces.

J’ai senti la forêt.

Les prairies de mon ventre.

 

Alors,
je me suis assise
et la nuit est venue sur moi.
Et la nuit m’est venue de face.
Et la nuit m’a cassé les yeux.

Alors,
je me suis couchée
et la nuit n’a rien voulu dire.



Et la nuit ne m’a pas parlé.

Des jours,
de mes cheveux,
de la peau que je porte,
de ma main de gauche,
de mon oeil,
de mes cuisses,
de mes petites plaies de chienne,
de la peau que je porte,
de ce que mon front cache,
des flèches qui piquent mes jambes,
des fourmis qui creusent
dans le fond de mon estomac,
de mes petites mains de pieuvre,
de mes petites mains qui glissent,
qui sont chaudes et qui cherchent
et qui sondent et qui fouillent.
 
La nuit ne me parle pas.



Je t’apporte le miel

Les habitants ferment leur porte.
C’est le soir maintenant.

Je te fais la cuisine, avec un peu d’huile,
avec un peu de citron, avec des herbes fraîches.
Je te donne mes deux mains, tu me donnes
quelques fraises, c’est la saison que tu préfères,
la lumière est épaisse,
les voisins sont endormis,
les chiens se lèchent les poils.

Je te donne un peu de lait,
il faut bien cuire la viande.
Il faut bien cuire les pommes,
elles sont très tendres pour nous.
Elles sont bien pleines de l’eau,
pleines des sucres et du rouge.
Il faut remuer nos soupes et nos ventres
quand ils s’endorment.

 

Le soir garde notre salive dans sa petite bouche, il s’enfonce dans nos yeux, tu ne parles pas beaucoup, il s’enfonce dans nos joues, le soir, tes yeux sont fragiles, ils sont noirs, ils s’enfoncent dans la cuisine.

Je pose un pot de miel, c’est la nuit sur la table.

 

Comme le miel, le vin, le lait

Comme
le lait sur son front.

Ou comme
le lait sur son visage.

Comme
le lait qu’il jette
par ses lèvres.

Ou comme
les bouteilles secrètes
que nous avons
près du corps.

Comme
le lait qui se vide
sur les arbres.
 

 
Qui disparaît
sur les arbres,

Comme
le lait sur ses cils
très jeunes.

Comme
tout le lait
qui circule.

Sous la chevelure.

Comme
tout le lait de l’amour.
 
Tu as l’odeur du sommeil,
tu as l’odeur des larmes
mêlées au sommeil,
tu as l’odeur du lait
mêlé aux larmes et au sommeil.


 
Comme les choses invisibles

Comme nous avalons notre salive
au réveil.
Comme nous sentons le goût du sang
dans les verres d’eau.
Comme nous vivons dans cet ordre.
Je te parle.

Tu diras qu’on est si bien
et qu’un petit dieu est assis dans ta tête.
Tu chanteras comme un vieux cuisinier
des mots de cent mille ans
pour paupières malades.
Ce sera de la chaleur.
Comme
des coups dans les yeux.
Ou comme
boire à la paille
le liquide gluant
et parfumé.

Et
le sable sur nous
sera comme les petites miettes du pain
sous la couverture.

Tu entends les ambulances ?
Et tu entends les mouches
qui lavent les morts?