Maraudes

Sophie Pujas

Illustration by Gianna Meola

AUTOMNE



(6) Rue de l’Odéon

La vie court autour de lui sans qu’il s’en mêle. La ville bruisse à son aise, sans qu’il lui appartienne. Pas de domicile fixe ? La belle blague. Cela fait huit ans qu’il est là. Sur la même bouche d’aération. Fixant la vitre du même café. Les passants vieillissent et meurent. Il est éternel, pris dans une trappe du temps. Le zèle de ceux qui voulaient l’aider s’est érodé. Personne ne songe plus pour lui à un autre destin. Ca lui est égal. Il n’y a jamais cru.

Quelquefois il lance des insultes un peu au hasard. Ca détend, ce vide autour soudain.

Il évite soigneusement de se voir. Pour plus de sécurité, barbe, et cheveux longs. S’il a eu un visage, plus aucune chance qu’il le revoie.

Un jour une femme de sa vie d’autrefois est passée devant lui, dans un parfum violent, et un brusque arrêt du cœur. Assoiffé qu’elle le regarde, il lui a demandé de l’argent, elle a fouillé son sac, un peu trop longtemps. Il avait envie de lui dire : « Tu ne retrouvais jamais rien, tu veux que je tienne tes affaires comme avant, ton maquillage, tes cigarettes ? ». Elle a tendu quelques pièces, ses yeux glissant sur lui sans le reconnaître. Bienveillante et lointaine. Son regard était grave et triste, mais qu’y pouvait-il ? Deux créatures à la dérive dans des mondes étrangers, à peine entrebâillés l’un à l’autre.

Il avait été soulagé.

C’était officiel. Il était mort.



(18) Place Saint-Pierre

L’automne a la couleur des promesses. Il est des saisons plus douces, plus lyriques, plus grandioses - je n’en sais pas de plus rêveuse.

Ce matin, le monde lui paraît possible. Presque. Cet entre deux est spectaculaire. Hier il n’avait jamais eu d’avenir, à peine des lendemains. Aujourd’hui, quelque chose dans la sécheresse dorée de l’air lui donne presque envie de mettre un pied devant l’autre.

C’est une victoire, pour lui, de respirer avec appétit, de se découvrir curieux des courbes qu’épousent les feuilles pour mourir. Presque. Son corps glane de timides joies, des euphories d’une seconde.

Il n’a pas toujours été ainsi – convalescent. Bancal.

Il n’a pas toujours été ainsi – en rade, et condamné à rester là.

Il a suffi d’un matin d’hiver. Il a suffi d’une voiture. Il a suffi d’un bref déraillement du temps, pour que sa femme et son fils... Cela aurait pu être évité de tant de façons. Une infinité de hasards auraient pu modifier ce scénario imbécile et les sauver. Mais la chair humaine ne gagne pas contre le chrome, le bonheur ne dissuade pas les catastrophes de semer leur musique sinistre – il les attire. Jour après jours il tisse et réinvente ces hasards alternatifs qui auraient pu modifier ce scénario imbécile. Petit vélo têtu de l’obsession qui tourne seconde après seconde, parfois à son insu.

Allons, c’est une superbe journée d’automne, une odeur de crêpes et de marrons chauds vient le caresser. Dans sa situation, rien n’est plus traître que la douceur.

Il s’assoit sur un banc, une seconde, quelque chose l’a terrassé, mais il ne sait pas lui donner un nom. Et puis ça lui revient : aujourd’hui le monde est possible, presque. Il faut dompter le monstre. Il se relève. Il est temps d’aller chercher sa fille à l’école. A eux deux, ils inventeront bien quelque chose. Ils pourront même prétendre que cela s’appelle l’avenir.



(13) Rue Jonas

Il n’en revient pas que le monde soit si vaste. Parfois, il n’y tient plus et il s’y jette. Tant d’années à se réduire à l’espace laissé à portée. Tant d’années à ne pas être en vie. Il a désappris à marcher droit devant lui, comme ses yeux ont désappris la ligne d’horizon.

On ne sort pas de prison. On la trimballe en soi, et cela cliquette et tintinnabule. Pourtant les enfants piaillent et les prunus agitent leurs branches mauves. On ne sort pas de prison. Mais le ciel est immense et les rues sont à lui.



(16) Rue Eugène Poubelle

C’est un coin de Paris qui ne ressemble pas à Paris. Des bouts de petits gratte-ciel en construction qui dominent la Seine, une statue de la Liberté en miniature qui garde le pont de Grenelle. On dirait un New York rêvé par un esprit étroit. Ailleurs la ville est de pierre, précautionneuse et grave, ici elle est métallique, scintillante, futuriste. Il se pose sur le parapet, il est en avance. A tous ses rendez-vous il arrive avec ce temps, un temps mort qu’il faut combler, sans laisser s’insinuer l’anxiété du moment qui s’annonce. Un temps de suspension, celui dont les appareils d’aujourd’hui n’ont plus besoin. La modernité a banni la pause. Il est photographe. Il travaille pour une revue de cinéma fameuse. Son métier est de collectionner les êtres. Chacune de ses admirations, il la transforme en portrait, tôt ou tard. Il comprend la patiente avidité des traqueurs de papillons. Son don à lui est d’embellir, de nimber les visages de ces couleurs qui les révèlent, de déceler la folie ou la douceur là où personne ne les avaient captées. Il ose beaucoup : mettre un poisson mort entre les mains d’une star, traquer des nudités accidentelles, donner des ordres. Chaque fois, tout se passe très vite. Il aime cette accélération du temps, ne pas avoir droit à l’erreur. Que rien ne flotte ni ne tangue. Il aimerait que la vie puisse être menée ainsi, que chaque seconde compte, que la tension soit permanente, l’inspiration toujours vibrante. Il fume une cigarette, les volutes s’égarent dans le fracas sourd des voitures, jouent dans le ciel gris. Il pense à la première fois où il a vu cette actrice, il était enfant, ou peut-être dans ces années où l’on s’évade de l’enfance, à la lisière d’une nouvelle ère. Ce qui l’avait le plus troublé, c’était ses jambes, et sa voix de contralto, sourde et sensuelle, qui en semblait le prolongement naturel. Elle avait vieilli, mais il espérait lui faire cadeau d’un peu de son désir d’autrefois. Il avait pour les femmes dont la splendeur s’érode une tendresse désolée et protectrice. Elle serait belle, à l’instant où il appuierait sur le déclencheur.



(12) Square Saint-Eloi

Tout parisien sainement constitué hait les pigeons, par principe et par vocation.

Ils sont rivaux, prétendants à la possession des mêmes territoires.

Rats, pigeons et Parisiens : les occupants de droit de la Ville Lumière.

Le pigeon, c’est une affaire entendue, a tiré de très mauvaises cartes à la loterie des beautés volatiles. Couleurs douteuses, élégance nulle. Le pigeon parisien, de surcroît, est éclopé, boiteux, éraflé de toutes parts. Il lui manque des lambeaux de patte et on s’étonne quand à grand peine il s’envole. Plume à plume il se défait et survivote tant bien que mal, quand ses cousins moineaux, escadrilles triomphantes, sautillent gracieusement, arrachent à la volée les miettes des sandwichs étudiants et posent sur la baleine bleue de la fontaine.

Pourtant, elle aime les pigeons. Ils l’attendrissent. A son âge, elle qui n’avance plus qu’à pas lourds et précautionneux, elle préfère leur maladresse à toute joliesse. Solidarité de vaincus, de laissés pour compte. Elle au moins avait été jolie, lèvres rouges et cheville légère. Et depuis son banc, en leur distribuant ce pain qu’elle amenait pour eux, elle s’interrogeait sur ce mystère : pourquoi n’avait-elle jamais vu de bébés pigeons ? Seulement ces adultes, déjà misérables. On en venait à croire à la génération spontanée de la difformité.

Pensive, elle médite le vertige d’une chute que n’a précédée aucune ascension, et envie ces créatures qui ne pouvaient s’endeuiller d’aucun passé glorieux. N’avoir jamais été, le secret était peut-être là.



(15) Pont Mirabeau

Pour comprendre à quel point une ville peut changer de visage en quelques secondes.

Passer de la grisaille dorée d’un matin d’automne au déluge le plus carnassier.

Passer d’une presque douceur à un froid venimeux.

Passer du sourire d’une fille, si jeune, si jeune, au regard jeté d’un passant méprisant.

Passer d’un café chaud à la faim qui ronge le ventre comme un acide.

Il faut être la lie de la rue, le peuple invisible des jetés pour compte.

Vous pouvez vous calfeutrer, quand la ville frémit et se transforme, rentrer chez vous, trouver le refuge chaud d’un café, appeler celle que vous aimez.

Vous n’imaginez pas comme ils sont violents, vos téléphones.

Le difficile n’est pas d’en avoir un. On en trouve, vous êtes si maladroits, si prompts à tout égarer.

Ce n’est même pas de le mettre en état de marche. Tout est prévu pour grappiller des miettes sur ceux qui n’ont rien, cartes à recharger, sou par sou, pas même besoin de compte en banque.

Mais des voix à appeler.

Ces créatures magiques qui répondent à votre désir, daignent vous laisser les informer que vous êtes allé ici ou là.

Ces voix, il faut une vie pour les gagner, un instant pour les perdre.

Vous ne le soupçonnez pas, mais ces voix – grommeleuses, oui, enrouées, mécontentes souvent – sont votre bien le plus précieux.

 

Il pleut, mais il n’y prend pas garde.

Sans rage, il donne un coup de talon sur le téléphone trouvé sur un banc quelques instants plus tôt, qu’il a jeté par terre, et qui s’obstine à sonner. Le silence se fait. Les gouttes d’eau lui poissent le visage. Il ne sait même plus qu’il a froid.



HIVER



(3) Rue aux Ours

Il avait toujours aimé les femmes silencieuses. Celles qui ne vous encombraient pas de piailleries, cultivaient leurs mystères.

Chaque matin, il passait avec elle quelques minutes délicieuses. Son mutisme n’était pas le moindre de ses charmes. D’elle, il savait chaque merveille. Le lac incertain des yeux, de cette nuance rêveuse entre le vert et le bleu, des yeux pers, comme une déesse grecque. L’arc pâle des lèvres.

Il aimait s’égarer en ce visage comme dans une faille du temps.

Bien sûr, beaucoup auraient estimé qu’il attendait trop peu de la vie, mais cette femme le rendait heureux.

Chaque matin, pendant six minutes, parfois sept, il constatait que la perfection était de ce monde.

Cela adoucissait les contours de la journée, l’ennuagait de joie.

 

Puis l’affiche fut remplacée par une publicité pour du rouge à lèvres. Une petite garce aguicheuse. Une usurpatrice de bas étage.

Depuis, les matins sont sans âme.



(9) Rue Notre-Dame de Lorette

Depuis qu’il a quitté la Sicile pour Paris, il ne sait pas pourquoi, dès qu’il se trouve à un arrêt de bus, il regarde autour de lui ses compagnons de brève attente et se demande lequel va mourir en premier. C’est une manie dont il ne peut se défaire, une folie sans furie dont il n’ose parler à personne. Cinglé, psychopathe à la petite semaine, prophète du dimanche, se sermonne-t-il. Rien n’y fait : il continue. Aujourd’hui ça ne manque pas. Ils sont quatre : une vieille dame pomponnée, un type à attaché case, une brune aux yeux charbonneux et un ado à l’air inhabituellement joyeux pour son âge. S’il s’était fié aux probabilités, son aiguille mentale aurait pointé vers la vieille. S’il avait écouté ses sympathies, vers l’attaché case – jamais pu encaisser les gueules de bureaucrates. Mais ce n’était pas une histoire de pari, ni de choix. Depuis qu’il se prêtait à ce jeu étrange, chaque fois la réponse qui avait surgi, immédiate, sans appel, l’avait surpris. Aussi inexorable qu’une vérité scientifique, aussi glaciale qu’une certitude. Aujourd’hui, la réponse s’imposa à lui dans un sursaut sans fièvre et qu’il ne chercha pas à combattre. D’entre tous, il était celui qui devait mourir le premier.



(1) Place du Châtelet

Sous les banderoles, le découragement gagne. Ils sont une poignée. Clique hétéroclite de la coordination des sans-papiers. Cuisinier bengali, balayeur togolais, vendeur de rose pakistanais. Pas de slogans, pas de cris, seulement la fatigue d’être là. La lassitude, poisseuse, glacée, étouffante. Certains se sont assis sur la fontaine à sec. Pas de colère, seulement de la tristesse. Pas même un adversaire à combattre. Ils attendent.



(20) Rue Fréderick-Lemaitre

Cette ville n’est pas à lui, tout est là pour le lui marteler. La langue sèche et hostile qui lui claque aux oreilles au long des rues. Les odeurs suspectes et froides, les lumières mesquines, la démarche saccadée et violente des femmes, les regards qu’elles lui refusent.

Mais surtout cette menace sourde, la certitude qu’à tout instant on peut se saisir de lui, exiger ce qu’il n’a pas, ces lettres imprimées sur un bout de passeport, ce sauf-conduit qui ferait de lui un homme libre, un homme à qui personne ne saurait reprocher d’aller où bon lui chante. Il chantait volontiers, il y a beau temps de cela, à l’époque où flâner était autorisé. Aujourd’hui chaque pas doit avoir un but, puisque chaque pas est un danger. La ville est un dédale de pièges et de trappes. Car il craint les uniformes, les forces de l’ordre, les forces qui président aux hasards qui lui feront croiser la mauvaise route. Les visages amis de ceux qui cherchent à l’aider, les échos d’autrefois dans la voix de ceux du pays n’y changent rien. Cette ville n’est pas à lui, tant qu’elle peut d’une chiquenaude, d’un tampon, d’un charter, le contraindre à retourner vers une terre où il sera désormais tout aussi étranger.



(6) Rue du Dragon

Le sol tremble. Casque sur la tête, oreilles couvertes, il n’est plus que cette vibration au bout de son marteau-piqueur. Il est au cœur d’un silencieux vacarme. Il pilonne, le geste doit être précis, juste. Tant qu’il regarde le trottoir se fendre, ne peut venir l’assaillir l’image qu’il chasse depuis son café du matin, depuis ce coup de fil, depuis qu’il sait. Son père sur un lit d’hôpital. Son père qui sans doute. Le béton craquelé gagne du terrain. Il avance. Trop facile de le faire appeler maintenant, à quoi bon. Le ciel est à l’orage. Le grondement se propage. Ca n’annule pas toutes ces années. Il faut se concentrer. Niet pour la grande scène finale avec violons. La transpiration goutte le long de son dos. Son collègue lui fait signe. Il coupe le moteur, enlève son casque. Le fracas doux de la rue reprend ses droits.



(17) Rue Truffaut

Elle n’en est plus aux cent pas, elle les a dépassés depuis belle lurette. A quoi peut ressembler une lurette et qu’est-ce qui la rend si jolie ? Elle se demande pourquoi l’administration parisienne a jalousement installé ses fonctionnaires dans quelques-uns de ses plus laids bâtiments. La mairie du dix-septième arrondissement, bloc de béton beigeâtre strié de meurtrières (ces choses ne sauraient mériter le nom de fenêtres). Sa réplique du quatorzième arrondissement – le commissariat de l’avenue du Maine. Et cet autre commissariat, sinistre et grisailleux, ces gens ne faisaient déjà pas un métier facile, scandale de leur imposer ça. Cela devait être dans les années soixante-dix que l’on se divertissait à ce genre de choses. Certains architectes sont des criminels en série, des récidivistes malfaisants. Bientôt, elle va monter ces marches. Tout de même, se souvient-elle, il y a la Poste de la rue du Louvre et la Bourse de commerce, ce sont de jolis lieux pour venir travailler. Elle fixe l’entrée. Ce n’est qu’un seuil à franchir, cette porte de verre à pousser. Déposer plainte. Sans y penser, elle touche sa pommette, la pièce à conviction, sous les lunettes de soleil. La douleur pulse sous la peau. Déposer plainte. C’est tout simple. Décliner son identité, s’expliquer. Pourquoi, vont-ils demander. Pourquoi depuis si longtemps ? Etre restée, pourquoi ? Ils penseront, elle s’en persuade, qu’elle n’est pas une bonne victime, elle a trop attendu. Mais elle n’a pas les réponses, pas même pour elle. Il y a triste lurette qu’elle aurait dû venir, l’a décidé tant de fois, a renoncé si souvent. Bientôt, bientôt sûrement elle gravira ces marches et poussera cette porte.



(18) Rue Saint-Vincent

Montmartre est une vue de l’esprit. Quiconque entre sur ces territoires est frappé d’irréalité. Les peintres (recrutés sur concours spécial de la ville de Paris) aquarellent, les touristes (affrétés du Japon par cars) photographient, ils jouent leurs rôles, tous sont devenus éléments du décor. Parfois un parisien s’y égare, généralement flanqué d’un ami étranger ou d’un parent de province. Il bravache, ricane, au lieu d’accepter avec élégance sa nouvelle condition d’ombre.

En 1910, Roland Dorgelès présentait en grandes pompes Et le soleil se coucha sur l’Adriatique, l’œuvre d’un nouvel artiste. Succès. Vente. Avant de révéler le fin mot de l’affaire, fiérot. L’auteur était l’âne Aliboron, propriété du bistro du Lapin agile. Ravi d’avoir fustigé en sale gosse la crétinerie annoncée du monde de l’art, il pensait ridiculiser les impressionnistes. Mais nos actes nous dépassent parfois en intelligence. Il ignorait qu’il venait presque avant l’heure de produire un geste dada. De créer une œuvre par la seule décision de l’exposer. La postérité est injuste, et aujourd’hui il ne flotte plus dans les mémoires que pour avoir évoqué sa grande guerre. Statufié, le plaisantin.

Montmartre tout entier est une installation, une construction délibérée qui ne peut vraiment se prétendre fragment de la ville. Plutôt son souvenir, jalonné de plaques commémoratives signalant le village d’autrefois. Mais l’irréel a de grands charmes, pour l’œil affuté.



(7) Pont Alexandre III

C’était un meurtre sans assassin, paraît-il. Le crime parfait.

Il avait refusé qu’on l’emmène, rien à foutre de leurs conneries, passer trois heures dans leur camionnette, arriver à un abri de nuit à cinq heures du mat, ne pas dormir à trente par pièces, se faire piquer ses affaires, il avait donné.

Il avait bu pour se réchauffer et s’était recroquevillé dans son sac de couchage, sous sa tente, à l’ombre du pont rutilant. Et pourquoi pas ? Ce ne serait pas la première fois. On s’anesthésie à la longue. Pourtant, cette nuit semblable à beaucoup d’autres, quelque chose s’était brisé.

Cela avait pris quelques heures. Et puis, tout doucement, les pulsations de son cœur s’étaient ralenties. Le monde avait sombré avec une lenteur infinie. Le froid gagnait chaque atome de chair comme une promesse. Il levait l’ancre, il renonçait. La violente morsure du début avait fait place à cet endormissement. Abandonner une partie qu’il n’avait jamais jouée. Sa dérive s’achevait là, pas loin de ce trottoir où il avait fait la manche si longtemps, avec de moins en moins de succès à mesure que le corps se désarticulait, que la voix s’éraillait, que la colère montait.

Un froid à pierre fendre, et il n’était qu’un homme. Un froid de canard, de loup, et il n’était qu’un homme. Un froid de gueux.



(1) Passage de la Reine-de Hongrie

Comprendre que la ville est palimpseste. La lire à livre ouvert. Les lettres voltigent et s’abattent sur elle, revendiquent, mots d’amours gueulés ou murmures politiques, dire la souffrance et le chaos et la panique qui guette. Dire le bonheur inouï d’un premier regard, la grande violence des cœurs qui tanguent et se jettent dans des batailles perdues d’avance.

Les blazes des graffeurs s’ajoutent aux stèles des morts pour la France, aux marelles clouant des cieux à terre et aux affiches publicitaires. Les tracts des restaurants indiens tournoient et s’écrasent, ils vont mourir au fond d’un ruisseau avec un ticket de black-jack inutile, et la ville bruisse de tous ces mots affolés absurdement blottis les uns contre les autres. Une réclame ancienne pour le savon cadum offre aux passants des grands boulevards la protection d’un visage de poupon rose.

Sur les murs quelques lettres tracées rendent aux mots leurs poids et leurs saveurs menacés. Femme de l’être. La vie est un compte. Mes nuits sont plus belles que vos jours.



PRINTEMPS



(13) Avenue des Gobelins

Elle se sent joyeuse, légère.

Ses parents ont longtemps discuté pour savoir si elle pouvait venir. Assise sous la table du salon, elle écoutait. Leurs jambes s’agitaient. Dangereux, disait sa mère. Trop petite. Jamais trop tôt, répondait son père.

Et elle est là, dans le flot humain qui gronde, crie, chante. Dans cette fête, cette kermesse vrombissante. Elle ne sait pas ce qu’ils réclament, on le lui a expliqué avec des mots sérieux, des mots obscurs, des mots cravatés, elle ne sait pas ce qu’ils réclament avec tant d’ardeur mais elle est d’accord avec eux.

L’odeur acidulée des merguez et de l’oignon qui grille lui chatouille les narines. La foule crie et s’agite, elle est sur les épaules de son père, toute-puissante, invulnérable. A perte de vue, les couleurs mouvantes des hommes en marche. A perte de vue, cette colère magnifique dont elle portera toujours un éclat.



(6) Ponts des Arts

C’était une journée antipathique, il fallait lui rendre la monnaie de sa pièce. Elle avait commencé les hostilités par une petite bruine, mesquine, sournoise, qui n’avait même pas l’audace d’être une vraie pluie.

Quand cela s’était arrangé il avait tout de même décidé de sortir. Le ciel était d’un gris sans subtilité, sans éclat, sans grandeur, qui se prolongeait jusque sur la peau des passants aux mécaniques déambulations. Un scooter avait failli le renverser. Il lui en restait une traînée d’eau sale le long de la jambe. Puis dans le métro une femme contre laquelle une secousse l’avait projeté s’était imaginée qu’il l’avait fait exprès, avait clamé son indignation haut et fort, et inutile de chercher à contrer les regards outrés, les foules adorent mépriser, tant qu’elles n’ont pas à intervenir.

Et maintenant, ces deux crétins postés sur le Pont des Arts, devant les cadenas imbéciles qui prétendaient faire de l’amour le synonyme d’une condamnation à perpétuité, un jour le pont croulerait sous le poids de ces atroces breloques, qui lacéraient la perspective de leur doré malfaisant, ces deux crétins qui voulaient être pris en photo. Il tenait en horreur particulière cette engeance qui a désappris de vivre et préfère emmagasiner les images inutiles des moments qu’elle gaspille.

Il refuse, ils font semblant de ne pas comprendre.

Très bien. Tant pis pour eux. Ils paieront pour les autres. Il prend l’appareil qu’ils lui tendent. D’un geste précis, d’une parfaite élégance, il l’expédie dans l’eau. S’ensuit un certain brouhaha, qui lui plaît.



(15) Rue Ernest-Hemingway

Si Paris est une ville où chacun se rêve écrivain, elle ne soigne pas toujours les écrivains à qui elle offre ses rues.

Remy de Gourmont s’en sort fort mal, avec une sinistre ruelle perdue dans le dix-neuvième. Quelques lierres de bonne volonté ne sauvent pas de la tristesse incohérente du lieu, ces époques qui se croisent sans grâce dans des maisons étroites. Au moins est-il en bonne compagnie, près de la rue Edgar Poe. Curieusement, celle-ci est plus accueillante, le mauve d’un lilas dialogue avec un mur de brique rouge, des pavés qu’on avait tenté d’engloutir sous le bitume résistent à l’ombre d’une grille.

De grise mine, la rue Choderlos-de-Laclos longe la Bibliothèque François Mitterrand, il est probable que ces deux-là auraient eu des choses à se dire.

La rue Charles-Dickens, silencieuse et bourgeoise, doit lui sembler bien loin du Paris interlope où l’entraîna Wilkie Collins, et dont les grisettes le sauvèrent de sa mélancolie.

Non contente de ressembler à une voie de garage sinistre, la rue Ernest-Hemingway ne compte pas un seul bar. Ce ne sont pas des façons de recevoir.



(1) Quai de l’Horloge

Les voyageurs savent tirer parti de chaque minute. Ils connaissent le prix des secondes partagées avec un visage qu’on ne reverra pas.

Quand la ville nous berce de l’illusion que toute occasion nous sera offerte à nouveau. Que les silhouettes reviendront valser sous nos yeux.

Chaque rencontre, s’y engouffrer.

Il faudrait être royal et fou. Il faudrait être nu. Il faudrait jeter son âme avec désinvolture. A l’instant, et sans conditions.

Mais qui voudrait, aujourd’hui, d’un présent si encombrant ? Comment ne pas choisir la tiédeur et la paix contre ce qui vacille, tremble et se perd ?



(17) Avenue Victor-Hugo

La fumée a le goût de sa tristesse. Elle ne fume qu’aux heures grises. Elle est montée sur le toit de son immeuble, une lucarne facile à franchir. Elle contemple la ville à ses pieds, qui affiche ses clinquants, ses lumières de musette. Les ravins sombres des rues, la masse blanche de l’Arc de triomphe, cette chose morne qu’elle n’a jamais aimée.

Autrefois les toits étaient son royaume, elle escaladait les murs, les églises. Ils étaient une petite bande, rendez-vous sous le manteau, communauté de l’ombre. Paris était leur montagne, interdite, clandestine. Monte-en-l’air sans butin sinon l’ivresse des sommets de la ville, l’euphorie du risque. Le vertige comme art de vivre. Déraisonnables par principe, inconscients, farouchement.

 Elle se souvient de cette stupeur heureuse, instants de suspension, se trouver au clair de lune sur les tours de Saint-Sulpice, aspirant la nuit par vastes bouffées. Elle s’étonne d’avoir été cette écervelée, cette cinglée.

Aujourd’hui elle est devenue une autre. Le genre de femme qui borde un enfant le soir et sur qui chacun peut compter. Femme d’intérieur, domestique, domestiquée. Bizarrerie tenue en respect. Elle préfère cette femme, la cohabitation est plus douce que quand elle trimballait cette soif d’aller au bout d’elle-même et de ne pas en revenir. Et pourtant, parfois, quand la tiédeur l’engourdit, l’enlise, elle s’évade. Elle grimpe sur le toit, et grille une gitane en hommage à cette fille intrépide portée disparue en elle.



(6) Boulevard Raspail

Une nuit de 1966, Jack Kerouac exige que son taxi s’arrête boulevard Raspail. Il veut saluer Balzac. Le Père-Lachaise est trop loin, et peu tentant à trois heures du matin. Il se contente de la statue de Rodin. Honoré y est-il pour quelque chose ? A Paris, il vivra un satori, une révélation intérieure aussi bouleversante que difficile à transmettre en mots.

Quand je passe près de la lourde silhouette de bronze, puissante et songeuse, drapée dans sa sévérité rugueuse, je lui envoie désormais d’amicales pensées. Une illumination ne saurait me nuire.

 

(7) Rue de Bellechasse

En maraude. Que ça s’appelait.

Chaque jeudi elle montait dans la Kangoo déglinguée de l’association, à quelques-uns ils s’arrêtaient auprès de ceux qui dormaient dans la rue, et distribuaient – pas grand-chose. Des cafés, des soupes, des sourires, des boîtes de conserve. Un peu d’eux-mêmes.

Elle s’était dit bien souvent qu’il ne s’agissait pas de sauver quiconque. Non, juste d’offrir un début de choix, la première planche de secours s’ils choisissaient de s’extraire de leur enfer. Juste d’arracher quelques moments à l’ordre barbare des choses, les tisser de douceur humaine.

Mais.

Quelquefois elle était en colère. Prise d’une envie (scandaleuse, oui, sûrement, stupide, elle l’avouait) de les secouer.

L’infinie capacité de l’être humain à tout tolérer. L’exaspérante manie de se réduire à l’espace laissé à portée.

Encaisser, encore, toujours, et une petite rasade supplémentaire.

Increvable bête, l’âme humaine.

Ecrasez-là, noyez-là, il en reste toujours quelque chose.

 

Ce soir elle était en colère, parce qu’un homme qu’elle voyait chaque semaine depuis quatre ans lui avait dit qu’il ne s’imaginait pas dormir dans une chambre, plus jamais.

Bien sûr, elle n’aurait pas dû. C’était trop facile, ces histoires de choix, quelle liberté une fois que la chute est entamée, elle le savait bien. Elle était surtout en colère contre elle, en colère de cet espoir dont elle ne pouvait se défendre, l’espoir comme une lèpre qui rongeait ses défenses, et que faisait-elle là, comme si elle en était capable, idiote qu’elle était.

Cette manie suicidaire de voir la lumière en tout être, et pas même l’excuse de la foi.

Alors voilà, elle s’autorisait cette rage dont elle ne dirait rien, ce tumulte en elle, la culpabilité d’assister à des noyades qu’elle prolongeait d’une soupe.



ÉTÉ



(2) Rue de la Lune

Un jour, elle avait disparu, simplement pour voir si quelqu’un partirait à sa recherche.

Personne.



(5) Rue Mouffetard

C’était dimanche, puisqu’il était là. Chaque fois, sortir ensemble dans la rue ressemblait davantage à une aventure. Périlleuse, incertaine. Elle se lovait contre lui, si chétive, son bras appuyé sur le sien, il la sentait vaciller à chaque pas, dans cette vulnérabilité absolue, à laquelle il ne s’habituait pas. Toujours elle lui disait qu’elle avait grandi, et il avait beau lui répéter qu’à vingt-deux ans ce n’était plus possible, elle le regardait, chaque fois incrédule face à ce beau garçon à la croissance prodigieuse, infinie. Elle le regardait, et elle le voyait nourrisson fragile contre sa peau, petit garçon intrépide et chapardeur, adolescent qui ne venait que chez elle raconter ses chagrins d’amour, jeune homme dont elle protégeait les rêves déraisonnables. L’amour embrasse tous les temps en un regard. Elle avait été plus proche de ce doux rêveur, son petit-fils, que de ses propres enfants, trop occupée qu’elle était à tenter de les élever au mieux.

Chaque pas était une épreuve, une petite victoire au terme d’une bataille infiniment lente, les pavés étaient traîtres, et la rue en pente trop dure pour elle, et pourtant elle y tenait. Il était ce qui lui restait de vie, à son âge qui lui semblait souvent grotesquement avancé, et qu’avait-elle bien pu faire de tant d’années. Elle lui racontait sa rue, celle qui n’existait plus, gouailleuse, populeuse, une rue Mouffetard un peu canaille dont elle avait la nostalgie, aussi lointaine et inaccessible que sa jeunesse. Elle n’existait plus qu’à peine, et toujours à contretemps. Les heures anciennes se faisaient plus proches qu’une conversation entendue la veille, un brouillard semblait nimber les idées les plus simples, les mots se refusaient. Heureusement venait le dimanche, et la certitude qu’il existait peu d’aussi grand amour que le leur.



(12) Place de la Bastille

On mesure mal la perversité des objets. La collision malencontreuse, au saut du lit, entre son pied gauche et ses lunettes n’était pas un hasard. Mais de toute évidence le fruit d’un plan délibéré de la part de la paire machiavélique et suicidaire. Or, à trente-quatre ans, il était profondément, désespérément et violemment myope. Sortir dans la rue pour tenter d’apitoyer son opticien, c’était se plonger dans un brouillard non dénué de charme certes, Paris semblait sur le point de se dissoudre, elle devenait Londres ou Venise, ces villes aux puissantes capacités de disparition, un brouillard non dénué de charme certes mais semé d’embûches, de trébuchages et autres pièges.

Le cirque des voitures rugissait autour de lui. Il se concentrait sur l’ange de la Bastille quand le bruit d’un klaxon et d’un coup de frein se télescopèrent avec la sensation d’une main sur son épaule, qui tentait de le retenir, de l’appeler, de le ramener du bon côté de la vie. Un instant de confusion heureuse.

Ne vous faites pas écraser, lui dit la silhouette, gracieuse, à laquelle appartenait la main, petite.

J’ai cassé mes lunettes et je n’y vois rien, confessa-t-il.

Elle rit, un rire qui explosa en fines bulles de joie et le réchauffa.

Vous pourrez toujours prétendre qu’une très jolie femme vous a sauvé la vie alors. (Elle fut la première surprise de cette sortie, qui ne lui ressemblait pas. La double impunité de parler à un inconnu et à un aveugle transitoire, peut-être. Ou l’un de ces coups d’éclat des timides, qui, ne pariant pas souvent, misent tout sur une carte).

Une très jolie femme qui ressemble à un tableau pointilliste, osa-t-il.

Ils se sourient dans la brume, et entrent dans un café, où nous ne les suivrons pas.



(14) Cimetière du Montparnasse

Ce qu’il allait perdre en premier, ce serait son odeur. Puis le déserteraient la nuance exacte du vert de ses yeux, et du grain de sa peau.

Déjà elle se nimbait d’une perfection suspecte, de ce voile diaphane qu’il haïssait par avance. Il suspectait qu’on ne parlerait plus jamais d’elle qu’en baissant la voix.

Veuf, quel mot ridicule, à son âge.



(20) Boulevard de Ménilmontant

Devant sa roulotte, aux portes du Père Lachaise, le dernier mage de Paris prend une bouffée d’air avant le prochain client. Il arrose ses plantes vertes, qui fastueusement accueillent le chaland et dont il prend un soin jaloux. Tout à l’heure, il prédira à une femme son destin amoureux, qu’il lira dans les cartes. Ses parents étaient forains, mais son don, il le tient de sa grand-mère. Il fait tourner un pendule mais refuse d’entrer en dialogue avec les esprits des morts. Le futur est son royaume. Seul son avenir et celui de ses proches qui lui demeure opaque, illisible, embrouillé. Les dieux sont facétieux.

Le Paris de la rencontre magique n’est pas mort. Les anges et les fées rôdent. Les sphinx du bord de Seine en sont complices. La foi ne l’a pas déserté, du moins de petites fois modestes. Mais il faut ouvrir l’œil, voir l’irrationnel frayer son chemin dans la ville des Lumières. La diseuse de bonne aventure, qui agrippe la main des passants dans le quartier latin. Les marabouts de la Goutte d’Or. Les joueurs de bingo des bistros. Et les inconnus qui se rencontrent sur la vague promesse d’une photo et de quelques mots échangés en ligne.

L’espoir sans folie n’est pas l’espoir. L’optimisme le plus ardent et le désespoir sans fond sont proches parents, revers inversés de la même médaille. La magie est chose fragile. C’est pourquoi il importe que ceux qui ont le privilège et la responsabilité de croire en elle la traitent avec des égards d’enfant malade, d’oiseau tombé du nid.

J’ai choisi mon camp. Je crois en un monde où les licornes ne sont pas des narvals, où ce sont les lamantins qui n’existent pas. J’attends le rayon vert.

Ce n’est plus tout à fait de mon âge, sans doute. Peu importe. Le contretemps m’est une vieille habitude.



(6) Rue de l’Hirondelle

Dans la pénombre ardente, on jurerait que la déesse de bronze de la fontaine Saint-Michel est perchée sur la branche du platane du boulevard.

Il l’entraîne sous les arcades, dans la ruelle, à cette heure personne à scandaliser, personne pour troubler leurs plaisirs chapardés. Tout juste un réverbère pour éclairer la scène, sous la lune pleine et rousse. Ils s’enroulent l’un à l’autre, s’embrassent, tanguent. Dans l’ombre d’un porche, elle sent le bois d’une vieille porte contre le tissu fin de sa robe. La main de l’homme glisse le long de sa jambe. Un mois qu’elle le connaît et qu’elle s’incendie. Elle savait à peine, avant, que la peau d’un homme pouvait si férocement brûler. Elle sent la main qui s’aventure, plus haut, prend possession d’elle, si doucement, avec tant de lenteur. De lui, chaque frôlement l’affole. L’incandescence gagne. Elle pose ses dents contre son cou, goûte le creux de son épaule, respire sa beauté. Tout son corps lui semble une merveille, son corps fiévreux, mince, un corps vertigineux. Elle tremble. Amour. Le mot ondoie entre eux, et elle s’en fout, les noms, aucune importance, seuls parfois comptent les adjectifs. Les contours de son corps se dissolvent. Ce qu’elle protège en elle depuis un mois, et peu en importe le nom, est sauvage, tendre, violent, et si gai. Des vagues de joie ondoient le long de sa peau. Jamais elle n’a eu autant d’amitié pour son propre corps, ce corps qu’il désire, à sa grande incrédulité. Elle n’est plus qu’un point, avide, aveugle, au creux d’elle-même. Et pourtant si légère depuis qu’elle le connaît, depuis qu’il est entré un jour dans une pièce, l’a regardée, et plus rien à lui refuser, dès cette première seconde. Elle s’arque contre lui. Les heures passées loin de lui sont grises, ensommeillées, à peine rehaussées par l’obsession, plus elle le touche moins elle est rassasiée. Elle n’est plus qu’une attente, toujours cet instant où le plaisir pourrait ne pas survenir, à l’extrême bord de l’extase, terreur. Elle voudrait que leurs peaux cessent d’être si étrangères l’une à l’autre, se confondent, elle voudrait naufrager en lui. Soudain cela arrive, elle bascule. La nuit tournoie, explose, la submerge. Il lui sourit. Personne, à cette heure, dans les rues, personne sinon eux, et à peine sont-ils deux. Une heure qui n’existe pas, volée dans une ville endormie.