de Midis Gagnés

Tristan Tzara

Arraché à la rivière

plus vif est l’écho des audacieuses sources
que le corbeau ne se mélange à la terre
deux fois par jour il est ce qu’il veut
et le sel de vos champs
larges cariatides des causses
pigmente les destins de vos voix
tant de fois tombés en miettes
sur les routes de porcelaine
disparates ressources
des grâces rapides
exquises filiales
vous n’êtes d’aucun secours
vous mentez sur les doigts
la beauté trompeuse
au tournant des bois
qui est-ce qui est-ce
mercerie de la douleur
entre qui veut
mardi mercredi
prend ce qu’il peut
mardi vendredi
qui est-ce qu’est-ce que c’est
la roue du moulin
sur l’air de l’incertitude
vivant de la quotidienne proie des jolis rêves jolis
lumière misérable
au cou cravate des pendus
et ballottée par les rues
un pied dans la boue du tombeau
qui est-ce qui est-ce
gantée de la racine des temps
le poids du socle au bras
la folle du village
crie à la rivière plaintive
mario mario
deux fois par jour
elle vient au parapet
crier mario mario
s’en va
comme si elle n’était jamais venue
et c’est pour cela
que la marché a lieu
une fois par jour mario
et encore une fois par jour mario
marché où les marcheurs
et les démarcheurs et les maraîchers
et les poissons frits
vont par la ville
crier mario mario
et la force des plain-pieds





Chant de guerre civile

neiges encore que nous soyons trompés  
amoncelez les ivresses

capitaines de brouillard
aux regards accapareurs
de buissons et de femmes
noyées dans leurs rires

dans les cachettes des cornemuses
les couches âpres des profonds événements

crépitez petits feux
aux indolences humides  
des courtes seigneuries
sous le couvert des paroles

il n’y a plus qu’un bond réveillez les visionnaires
pour que la flamme franchisse le parapet des ivraies

neiges neiges couvrez-nous
vent de nuit vent de midi
pierres toujours et encore
les couteaux de la grêle
la mort court vite elle est plus légère
jeunesse que la terre de ceux que nous portons en nous

alors les bien-aimées
viennent mendier le silence
les lèvres de chair
collées aux lèvres des tombeaux

c’est moi qui ai écrit ce poème
dans la solitude de ma chambre
tandis qu’à ceux pour qui je pleure
la mort est douce ils y demeurent





Rubis sur l’ongle

le vide souffle à travers la rue
sonne dans les chambres noires
quel que soit le sens des choses
dont le froid trie l’apparence
la mer nous regarde en face
et sur l’ivoire de nos yeux
comme les bêtes au dressage
s’écoutent yeux dans les yeux
et se suivent par buées
la tendresse et l’amitié

j’ai dit à l’ombre des fenêtres
sous la paupière de l’arbre
qu’un sommeil pour autres ors
prit sous l’aile de sa flamme
j’ai dit par le temps qui court
à sa perte à la ruine
tristes mines rires géants
granges volées aux navires
puits grimaçants silences du monde
vieillards en perdition ancrés
amants enfants futurs bourreaux
mères de sang mères en herbe
ou forêts tremblantes de passés pressés
c’est toujours un seul langage
dispersé au flanc des flûtes
des trésors au cœur des nues
de ces hommes que nous sommes
langage de la solitude

à travers les pays noirs de monde
noir est le monde
ses vêtements intérieurs sont visibles
les confidences de catacombe
les saluts des biches montées en épingle
les magasins aux lèvres ouvertes
aux structures de neige
les ménageries éteintes
sous la pluie les lunes de miel
et le miel de la mémoire
comme sous le poids des villes
c’est la même parole aveugle
mille morceaux de voix la cachent
qui revient dans les brisures
repoussant la meute des choses

mais à nos portes obscurcies
se pressent les mers écrites
sur la glace des marguerites
l’insouciance des béliers
dans les chambres mortes ou vives
sourdes peuplades d’intentions
que des lampes en longues files
ont conduit dans les tombeaux
c’est l’avenue pour pauvres
à nos squelettiques viviers
guettant la naissance des voix
le dévidage de l’ombre
où personne ne rencontre ombre
ni de tendresse ni d’amitié





Sur le seuil

vignerons des larges rafales
et vous coteaux où grimpent les trains
étonnement des citadelles
que la fourmi en armes veille
comme fumée en marge de l’homme
la raison feint de vous suivre

pipe aux dents le ciel en feu
mâche le thym des clés perdues
et les œufs de farfadet
jonchent la route de cisailles
sans issue les dents serrées
vont les mots reviennent ivres

n’était­-ce l’ombre qui guette
nous ne saurions jamais
si le plus ou moins bavard
à la mort au nouveau-né
en longeant la chambre rit
ou s’il pleure ce qu’il pense
tombe lourd sommeil de pré
ce n’est pas le tout dernier
quoique l’aile batte plus vite
qu’elle n’arrive à s’éloigner
de ce centre où l’étoile
cloue le poids d’une mort maline

certitudes certitudes