Rappel

Sarah Keryna

Calme journée. Toujours du vent.
La neige au Brésil, les incendies en Grèce,
les tempêtes au Canada.

L'été n'existe pas.

C'est Avril qui recommence, ou Octobre qui s'avance.

Un avion s'est écrasé sur un immeuble, 113 morts.
Sa voix au téléphone m'a semblé étrange.

J'ai trouvé "les Hauts de Hurlevent" dans une poubelle.

Et Gérard Denoyan est mort.
Et Claude Sautet est mort.

Attirance compulsive pour les bibliothèques.
Lectures intensives.
Je ne retiens jamais les titres.
Je ne pourrais jamais tout lire.

Si un livre était fait pour moi, que je ne l'ouvrais jamais ;
Si je passais à côté pour toujours?

* * *

Autour de moi le ciel, silence à peine coupé
de murmures et bruits d'oiseaux.
Rue au loin. Les antennes. Les mouettes.

Cactus, agaves, fougères géantes.
Le chêne liège centenaire.
Les plantes grasses.
L'odeur de l'Eucalyptus, la poussière des chemins
et la lumière immobile.

Il dit qu'il rêve qu'on meurt tous les trois dans un accident de voiture.
Il prend des cachets. Il est resté trois jours à délirer avec hallucinations dans sa chambre sans bouger.

Marseille:

Le bus 83. Le ruban bleu de la mer se déploie soudain,
reflétant une grande lumière.
Les eaux clapotantes au pied des rochers.
La douceur de l'eau. Le soleil en face.

Il y a une petite fille, Russe probablement.
Elle est habillée avec une robe très chaude pour la saison, démodée.
Plus tard, elle est dans l'eau.
Elle nage vers le bord.

Au retour, dans le bus une femme dit:
"J'ai voyagé dans toutes les villes d'Europe et dans toutes
les villes du monde. Je n'ai jamais vu une ville aussi sale
que Marseille."

Paris:

Paris, ses parquets,
ses escaliers en bois cirés,
les pas qui grincent.
Les portes sombres et laquées.
Les mansardes.
Les numéros de code.
Les cours intérieures.
Les galeries.
Les musées.
Les bords de Seine.
Les bars.

Marseille:

A peine avais-je le pied posé sur le sol, que je revivais.
Cette chaleur, cette ivresse.
Les terrasses. Les rochers blancs.
La mer autour.

L'espace.

Ma Marsilita!

Une tâche énorme court le long de la vallée du Gange.
Un point correspond à 500 000 personnes.

Transports. Réseaux.

Les flux.
Les flots
Oléoducs, pipeline.
Les puits,
Les gisements,
Les mines.

Chez R., tout à l'heure, lui ai démêlé les cheveux
avec un peigne et les doigts dans la cuisine.

ANEMIE.

La pluie.

Des boîtes de cachets roses.

Emballage. Conditionnement.

Les frontières. Les filières. Les filiales.

Je boirais des litres de sang cru.
Je rêve de terres ferrugineuses pour me blottir dedans.

Et Théodore Monod est mort.

Marseille:

Le blé de la Sainte Barbe est semé.
Il dit que le sel oxyde le fer, parce que c'est une ville
au bord de la mer.

Paris:

Ils sont assis l'un à côté de l'autre,
sur la pelouse, au soleil.

Ils ne se touchent pas.
Il lui offre "Pétrole," de Pasolini.
Il raconte l'histoire de l'enfant mort malgré les prières.
Depuis, il ne croit plus en Dieu.

Ils passent au dessus des gares. Elle dit:
"Ca me déprime tous ces rails qui partent vers le Nord."

Un orage éclate brutalement. La pluie se met à tomber comme un bombardement.

Marseille:

Un goéland passe devant le soleil, le masque un instant.
Son ombre projetée traverse l'appartement.

J'ai acheté un brin de muguet.

Et André du Bouchet est mort.
Et René Dumont est mort.

Un endroit au bord de la mer.
Tout autour d'eux, des falaises très hautes.

Du sable à perte de vue.
Aussi loin que le regard se pose, il ne rencontre que la mer, et le ciel, et le sable.
Il n'y a plus de mer, plus de ciel, plus de sable.

L'immensité

                                                              C'est un point

sur la carte.


© Bleu du ciel, 2007