L’amèr ou Le chapitre effrité

théorie-fiction

Nicole Brossard

C’est le combat. Le livre. La fiction commence suspendue mobile entre les mots et la vraisemblance du corps à mère dévorante et dévorée.

Théorie fictive : les mots n’auront servie que dans la dernière étreinte. Le premier mot lèvres et salive gluant sur ses seins. La théorie commence là quand s’éloigne le sein ou l’enfant. Blessure stratégique ou le sens suspendu.





FIGURE

La figure est réelle comme une intention politique de la soumettre au pluriel devant les yeux, ou singulièrement le pouvoir. La figure réaliste est alors la plus soumise qui soit. Elle concorde tout simplement. C’est alors qu’on la ramène au général (à la maison) en utilisant le singulier: la femme ou image de lait femmes. La figure se tourne alors, visage double, s’accélérant, vrille dans les yeux, les événements, encore, dans un dernier effort contre la cécité : la saisir. Or la figure est en mouvement. La figure est méconnaissable à toute allure. Intense illisible. Séquence. La figure est migratoire.

 

 

FIGURATION

Elle dissout le contrat qui la lie à la figuration. Dans l’ancien théâtre où les nostalgies ne sont plus à compter, elle est seule en même temps que toutes à produire l’effet du corps. Non pas mythique comme les corps doubles sacrifiés pendant les scènes. Le corps-choc ou celui de l’influx nerveux qui se prépare à l’action sans alibi, un corps où dans la circonstance on est seul. Le corps d’on coupé de la retraite. Corps de fille manifeste dans le sens précis du conflit. L’arc, provenant délire : a-t-on perçu que durant la scène la passion a criblé les yeux comme une insertion de femme dans un contexte viré ? C’est que dans son interprétation de la figuration, de l’évidente forme, visiblement, elle a modifié le songe. 

 

 

DÉFIGURER

Des pistes pour dé-faire ou rendre méconnaissable. Car de l’éloignement ou de la privation bouche bée comment l’entreprendre le mot à mot dans la figure : pour dire à l’état de nature civilisée comme un écart ou marginales multiples. Au rire qui transforme. Il faut bien l’écrire que la haine ne se puisse écrire ou de la mort comme une angoisse politique : dans les récits d’enfant, la vie de l’ogre explose fragmentant la nourriture, les corps ; les filles sortent de la maison comme du contexte. Dans la forêt, on ferait sauter les têtes sur les genoux pensifs. L’abîme ou dans le gouffre en les écartant. Mettant de la distance comme pour une fiction. 

 

 

GÉOMÉTRIQUE

Sorties des gorges cercles sphères spirales : papillons ou l’effet de l’émotion. Les figures s’agitent : sur les surfaces, réfractées, pauses d’intimité. À tenter le sursis de l’espace sans ligne sans écrit que le combat des membres des bras fous ou des mains tièdes. Projetées : un fantasme de branchies d’eau de tresses—c’est exprès que dans l’espace les yeux défaillent, d’agir d’une perception neuve. Qu’elles se referment comme des bouches étanches le jour au beau milieu de la saison dans un ralenti optique de chattes prémonitoires. 

 

 

D’INTENTION

Ses intentions sont multiples mais il en est une en trop toujours dérobée : son corps comme un paradoxe de substance vu qu’elle a patienté des ovaires de quelques siècles intensifs de survie-d’in/tension à la frontière des yeux, jour après jour le calque. La reprise. Le cerne s’agrandit. C’est par contraste alors que la figure (ou comme un réflexe) désigne une nouvelle configuration propre à infléchir le sens commun. Pressée d’aboutir dans une autre dimension que symbolique. Mais la figure atteint son comble : traverse l’interdit ou la hanche transitoire d’un mâle. Au-delà du terrorisme. Les autres passions osent dans la trajectoire, serrées dans leur matérialité, cette forme du pli.

 

 

PRISE AU FIGURÉ

Dans le flot à livrer du sens ou à proférer dans la concision—qui est-elle représentée moeurs et propice comme victime présumée, qui est-elle, le sait, ellipse ou parfois quand elle produit, cela déplace l’ombre et l’effet de longues nuits commence à se faire sentir sur sa surface ou intensément. Sa soif comme on ruse avec le désert, immanquablement : la prise du figuré et prolifération. Quand les profiles bougent s’organisant pour parler. C’est le frisson ou peut-être le froissement du papier. Une pomme sur la table de travail suffit-elle à fournir un sens ? Ou à faire lever le coeur ?

 


 
LA FIGURINE

Traquée au sol mais dans ma main peut-elle empêcher ma mort ? Qu’a-t-elle à voir sur ma tombe (à cheval) ocre terre cuite, la pierre, ses seins, où donc est sa bouche, qu’elle ranime la partie du corps effritée. C’est là millénaire et silence. Aura été introduite au musée callipyge. Il arrive qu’une intention quelconque... mais ralentir souvent me fait converger à la source. C’est son ventre. Qu’elle fut féconde et sexe tranchant. La figurine, c’est par les yeux, sa bouche épisodiquement, qu’un règne éloigné, dans ma main, le sel, le sein.

 

 

A FIGURE

Dis quoi : la réalité collier licou licol—on les a vues, ligotées, serrées quotidiennement ou chiennes blanches le matin. La réalité ça n’existe pas. Va voir venir cinq heures. Ça n’existe pas, il fait encore clair. C’est ailleurs. La réalité, je n’en crois rien. Ni l’apparence. C’est à prévoir. Mais avoir accès. Ou recommencer. Ça n’existe pas. Où ton utopie dans le tiroir de la chambre à maman ? C’est la vie que la réalité c’est une illusion. Bras blancs dans la neige. Ça n’existe pas pour de bon. Bien avant que je tremble. Bien peur que ça n’existe pas. Ou alors sur la mer la vague en dedans les plis les mous. Ça n’a de fait que le corps intense au loin de ses yeux bien placés pour le savoir. Ça n’a rien à voir. Mais sachez la figure alerte, de taille et d’histoire. En réellité.
 

 
 

PRÉFIGURE

À soutenir le muscle comme une entreprise, domestique. Figure énervée, de bras de fragments de vagins en elle toujours à se transformer pain ou mamelle. Fictive, qu’elle soit idéale car la poussière j’ai d’la misère à saisir c’est encombré comme un débarras. Se déplaçant pour que coïncide son corps avec quelques phrases familières. Les symptômes s’en sont alors allés vers le mâtin l’alourdir. De fait, elle se sent mieux sans allergie. La figure réellement est une fille qui observe ses enfances, censée être une femme, mais de fait une fille. À tout instant : franchir ce qui fait obstacle à la synthèse. D’elle traversant sa propre fiction ourle hurle houache illico.


 

 
FIGURE LIBRE

Contrainte, se souvenir : il y a l’espace clandestin par lequel toute loi est soumise à l’imaginaire ou si l’infiltrant comme une réalité les fait s’annuler. Une eau trouble en apparence mais tissus intérieurs sachant l’unique trajet. En tout et partout, il s’agit d’une pratique. Le versant de cette autre passion. La même. Ou l’on pourrait dire que quand l’imagination s’enflamme elle finit par être de mèche et politique. Une trajectoire de corps, fertile et souffrante. Un dernier fantasme en réalité. Sans ventre, sans poitrine qu’aucune tête s’y adonne, pour s’y souvenir.


From L’Amèr ou Le chapitre effrité, by Nicole Brossard, first published by Quinze, Montréal (1977), reissued by L’Hexagone, Montréal in their TYPO collection (1988, 2013). Reproduced with the kind permission of the author and the publisher. Translations published with the permission of Majzels and Moure.

Click here for Nicole’s Brossard “Soft Links,” translated by Bronwyn Haslam, from our Winter 2016 issue.