extrait de Jeanne Darc

Nathalie Quintane


Jeanne, ayant revȇtu son armure, passe beaucoup de temps à s'observer dans les différentes parties de cette armure, par pièces détachées, sa personne descendant et remontant selon qu'elle considère plutôt les lames, de métal articulées, qui couvrent les pieds, ou plutôt l'épaule.

Quand elle marche, elle ne marche pas toute ensemble, mais se suit, indépendamment et tour à tour, dans chaque partie de son nouveau costume.

De mȇme, ayant porté une robe neuve, elle s'était trouvée réduite à sa robe plusieurs jours d'affilée, sa forme, son poids, et sa couleur, pesant dans sa tȇte.

Reconstruite provisoirement autour de sa robe, elle n'avait guère de latitude pour penser à autre chose:

prévoir, décider. A peine avait-elle encore le champ nécessaire pour obéir à un ordre.

S'admirer dans sa robe nouvelle paralyse.
Le regretter, aussi.


(De même, lorsqu'elle vient de se laver, sa propreté
l'empêche, un temps, de s'éloigner du propre.)







– Avant mon premier assaut, il y avait un monde entre le monde et moi : les cloches sonnaient, mon père criait, les moutons bȇlaient.







CAVALIER NOIR – JEANNE DARC


Zig-zag, demi-cercle du bras, lançant mon cheval, il tourne trois fois sur lui-même,
chimneys were blown down, and, as they say, lamentings heard i'the air, strange
ne suivez pas mon doigt, trois fois je tourne sur moi-même, brouillon de
screams of death, and prophesying with accents terrible of dire combustion and
duel, aucune partie d'étendard ne sert de gourde, aucun revers de gantelet ne fera
confused events new hatch'd to the woful time : the obscure bird clamour'd the live
sauter celui-ci, à bas ! à bas ! une fois à terre, il ne se relève pas, car son armure
long night : some say, the earth was feverous and did shake. 'twas a rough night
est trop pesante, bien que de fabrication anglaise, il lui faudrait une aide, ou deux,
my young remembrance cannot parallel a fellow to it. O horror, horror, horror !
et tout le monde est occupé, voilà ma chance, cependant s'il m'arrive de tomber
Tongue nor heart cannot conceive nor name thee. What's the matter? Confusion
moi-même, je suis en aussi fâcheuse posture, or le temps ni l'esprit ne me viennent,
now hath made his masterpiece. Most sacrilegious murder hath broke ope the
que faire? sinon parler en balançant son bras, certes, inutile de chercher à voir
Lord's anointed temple, and stole thence the life o' the building. What is't you
chercher à voir, voire à distinguer, quoique ce soit, bien que son nom soit Noir, il
say? the life? Mean you his majesty? Approach the chamber, and destroy your
est assez varié, mais poussiéreux (dû à l'ardeur), brouillon de duel, à coup sûr,
sight with a new Gorgon : do not bid me speak; see, and then speak yourselves,
ah ! je ne retiendrai rien de tout cela ; somme toute, que voulez-vous qu'il advînt?
Ring the alarm-bell, murder and treason ! Banco and Donalbain ! Malcolm ! awake !
Jeanne Darc ! Jeanne Darc ! Jeanne Darc ! Jésus ! par ma tête et par mon roi ! exhor
shake off this downy sleep, death's counterfeit, and look on death itself ! up, up,
invocation, exhortation, défi ! tes os aillent à la Loire, au plus dur ! non sans
and see the great doom's image! As from your graves rise up, and walk like
droit, fluctuat : il est sur ma cotte ! puissent tes enfants pourrir dans tes bourses,
spirits! to countenance this horror. Ring the bell. What's the business, that such
au cuissot ! à la genouillère ! recrache toi-même par morceaux par ta bouche, Jeanne
a hideous trumpet calls to parley the sleepers of the house? Speak ! speak !
pleuve, chevaliers pleuvent, Jeanne pleuve ! chevaliers pleuvent !








nos traces : des coulées, des pelotes, des fientes ; pas plus qu'un blaireau.

               A la fin, moi par terre aussi lourde qu'un tronc, et
               la tȇte voletant

               comme une vessie de porc gonflée


               Moi, avec mes pieds deux fois comme des mains.
               Moi, avec mon épaule qui boite.
               Moi et ma phrase, 100 fois la mȇme 100 jours.
               Moi et mon cheval, et les coups que je donne
               quand il chute.
               Moi, Jeanne, le menton toujours plus près du
               front (sans dents !)
               FIÈRE – PURE – JOYEUSE – CONQUÉRANTE
               FIÈRE : y a-t-il une quelconque possibilité d'ȇtre
               bossue dans une armure?

               PURE : l'eau qui tombe sur mon corps, de là, est
               bénie.
               JOYEUSE : de cette joie tacite qui me fait lever le
               matin.
               FIÈRE : au menton, et dans la position des pieds.
               PURE : après la guerre.
               FIÈRE : partout toujours et je porte mon cheval.
               PURE : je suis propre dans mes pensées, mes
               paroles, mes actions.
               JOYEUSE : souriante, bouche ouverte, mes dents
               sont d'or du pollen qu'elles attrapent.







Me voilà, crédule, élevée sur le crȇt, empestant le
crésyl,
moi-mȇme empestante, coulante dans ma graisse,
crépus-
culaire avant ce crescendo qui me crève, devant le
trou-
peau des crétins et des crétines







– Bien qu'il m'eût été plus utile d'apprendre à écrire debout, ou assise en mouvement (cheval), m'ayant été tendu (une chaise) sans autre forme de procès, je m'y suis assise, comprenant par là qu'on commence à écrire en s'assoyant.
– Ma main dessine un gros rond que l'index et le pouce ne parviennent pas à fermer – la poignée de l'épée n'est pas la pointe d'une plume.
– Je me touche souvent les lèvres.
– Je me tiens moins penchée quand je mange.
– Je m'arrȇte entre chaque lettre, n'ayant jamais songé à observer la peau de mes doigts d'aussi près.
– Ainsi, en cours d'apprentissage, on regarde, autant que les lettres qu'on trace, le bois de la table, le papier en tant que papier, le maître, et dans celui-ci : yeux, bouche (qui bouge), dents de devant, col, premier bouton du col quand on vient de faire une erreur.
– La fois où j'ai voulu suivre de l'œil la lettre en train de se faire, je n'ai pu la terminer.


                                                                           Jehanne


Jeanne Darc © P.O.L éditeur, 1998