En bas c'est moi

Sébastien Joanniez

Illustration by Guillaume Gilbert

« Je suis un fou qui aime l'humanité
Ma folie c'est l'amour de l'humanité »
Nijinski - Journal



En bas c'est moi sur le toit pour voir le feu d'artifices. J'ai le feu qui me tombe dessus comme la pluie, des flocons blancs et rouges et verts et bleus qui m'arrivent et je saute sur le côté pour éviter parce que c'est quand même du feu, même en pluie ou en neige c'est du feu. J'admire. J'ai les voitures et les motos les rues dessous et le bruit remonte comme les réverbères jusqu'au toit, j'ai les cris du dessous qui lancent des oh et des ah alors je fais comme eux je crie oh et ah comme si je répondais. Je suis heureux. C'est le feu d'artifices en premier que je vois. Et je suis sur le toit. Je tremble un peu du bonheur ou de la peur, je m'accroche bien aux tuiles je suis pas à courir partout ni debout vu que je suis sur le toit. Je fais gaffe, je tombe pas sur les voitures en bas. Je regarde. Je regarde et le rouge c'est ce que je préfère comme couleur et aussi les fusées pour le bruit que ça siffle avant d'éclater, je dis c'est comme la bombe mais avec de la couleur dedans, c'est mieux comme bombe. Je me bouche les oreilles mais je ferme pas les yeux vu que c'est un feu d'artifices. Je suis en haut de la rue. J'ai personne à côté vu qu'elle aime pas les feux d'artifices elle dit que c'est comme la guerre. Je dis rien, je fais juste attention de pas tomber comme elle m'a dit c'est dangereux. Heureux. Je crie pour le final et oh et ah, le bruit les explosions c'est comme la guerre elle dit c'est pour ça qu'elle aime pas, moi je crie du bonheur et le rouge partout dans le ciel c'est ce que je préfère les cris du dessous les voitures les motos je dois pas tomber dessus, le final comme l'orage je me cramponne aux tuiles je crie de la peur c'est comme la guerre et l'odeur du feu un nuage de feu au-dessus de moi, c'est la fin du final je crie encore et dans la rue aussi, je peux pas applaudir sinon je lâche les tuiles c'est dangereux elle m'a dit alors je crie bravo sans applaudir. Le nuage s'en va, le ciel est noir maintenant. Elle me dit dans mon dos à la fenêtre que je rentre, alors je remonte, je fais attention je tombe pas je mets mes pieds où il faut, et j'arrive à la fenêtre sans glisser. Je me retourne, le ciel est noir, et l'odeur du feu sur le toit je pense à la guerre comme elle me dit attention, alors je rentre et je vais me coucher.

Sûrement pour les bourdons dans les oreilles c'est à cause des explosions que je peux pas dormir, alors je dis pour les moutons un deux trois je compte comme elle me dit quand je dors pas, je compte jusqu'où je peux un deux trois... J'ai les aiguilles qui comptent aussi et le bruit de la rue, ceux qui rentrent après le feu, j'entends les voitures et des klaxons et la foule qui s'en va, alors je compte aussi les klaxons pour dormir. Je compte un deux...

Elle dit que je me lève alors c'est pas comme un rêve, c'est elle me dit que je me lève alors je laisse mon rêve sous l'oreiller avec mon pyjama. J'ai encore un peu de nuit dans la tête et mes yeux tout jaunes je dois me laver elle dit c'est pas comme me lever. Je dis oui je dis toujours oui sinon elle me dira plus que je me lève et je serai mort, alors je vais me laver.

Je marche dans le couloir et c'est toujours des ombres à me casser la figure derrière les portes et des voleurs pour me tuer le matin, le matin j'ai toujours peur dans le couloir elle dit qu'on changera l'ampoule mais bon... Je me défends pas, je cours vite jusqu'à la salle de bains, elle dit qu'on doit pas fermer à clef dans la salle de bains vu que je pourrais rester coincé pour la vie au cas d'incendie alors je claque juste la porte. C'est toujours froid dans la salle de bains avec le carrelage et du chauffage y'en a pas dans la salle de bains alors c'est dire comme c'est froid. Je grelotte, elle dit que ça réveille.

Après je me brosse les dents jusqu'à cent, elle dit qu'il faut compter pour être sûr de bien laver alors je compte à cent et après je dois cracher faut pas compter pour bien cracher.

Après je me lave un peu la figure avec l'eau mais si froide comme la neige qui coule du robinet alors je vais vite elle dit qu'on aura bientôt l'eau chaude mais bon elle dit que ça réveille aussi.

Alors après je déjeune et vite vite je m'en vais vu que c'est toujours à la minute je cours, je cours elle dit  à ce soir et moi je dis jamais rien je suis déjà dehors et c'est aussi froid que la salle de bains alors je cours tous les matins pour le retard et la chaleur, je cours toujours elle dit que ça réveille je sais pas mais je cours et j'arrive toujours après le moment, elle dit que je rêve sur le chemin et qu'un jour on voudra plus de moi et que je resterai tout le temps à la salle de bains et que j'aurai si froid que je serai comme la glace alors moi forcément j'ai peur.

Après je suis toujours à attendre la fin.

Après je rentre et elle me demande, me demande si je vais, je vais oui je dis que c'était comme une journée normale mais elle elle veut savoir plus alors je dis un peu de ma journée et elle est heureuse. Elle est curieuse. Elle se couche dans le canapé avec sa grande chemise qu'elle a toujours pour regarder la télé c'est sûrement plus pratique et elle s'étend comme les chats, c'est un chat comme elle est des fois.

Je dis rien moi je regarde, souvent je sais pas quoi regarder je baisse les yeux mais là c'est sûr je regarde tout ce que je peux. Elle dit que je dois pas la regarder comme ça qu'elle dirait que je vais la tuer ou la manger, mais moi c'est pas pour la manger au contraire... Alors je regarde moins vu que sinon elle a peur elle dit en rigolant.

Je m'assois sur le canapé, aux pieds d'elle, au bord vu que si elle est couchée on tient pas à deux. C'est les  informations elle dit comme il faut toujours être au courant, faut savoir elle dit ce qui se passe dans le monde à la télé alors elle et moi on regarde les informations... C'est la guerre elle dit encore, elle dit toujours ça c'est la guerre et moi je dis rien. Je pense au feu d'artifices. Je rêve. Après j'arrête de rêver vu qu'elle dit que je rêve encore. Je demande si je peux aller sur le toit une autre fois, c'est non elle me dit alors je pense que si j'étais un chat j'irais sur le toit quand je veux mais je rêve encore je pense...

Après je dois manger vu qu'après je dois me laver. J'ai faim je dis et elle elle peut rien dire elle regarde les  informations, je demande si c'est encore la guerre, elle dit que je dois me taire et que si j'ai faim j'ai qu'à manger alors je vais à la cuisine et j'ai la guerre dans mon dos. Je prends une assiette, je demande pas si elle a faim aussi vu que je dois me taire, et je mange. Je mange toujours tout seul à cause des informations.

Après je vais me laver je passe derrière elle dans le canapé, je fais pas de bruit pour traverser jusqu'à la salle de bains et c'est encore plus froid que le matin alors vite vite je me lave et des fois je pleure de froid mais pas si fort pour qu'elle m'entende je fais gaffe je dois me taire.

Alors après je vais la voir pour la bonne nuit. Je pense à l'embrasser sinon c'est des rêves d'horreur que je fais sans l'embrasser et les informations c'est fini mais c'est toujours la guerre.
Je dis bonne nuit mais doucement comme si je faisais des bulles, et elle elle me sourit dans sa grande chemise elle me dit aussi bonne nuit pour pas que j'aie peur sûrement et elle m'embrasse toujours à côté de l'oreille pour que j'entende bien qu'elle m'embrasse.
Des fois je m'assois sur le canapé et je regarde la guerre avec elle mais pas toujours vu qu'après je dois me coucher.

Je suis son amour elle dit des fois. Alors c'est comme si je rêvais encore.

La journée je suis comme un autre qu'avec elle, je suis de l'autre côté de moi, je suis différent, je dis si je regardais dans un miroir je serais pas là je serais ailleurs, avec elle sûrement. Alors j'essaye de pas y penser sinon je me perds et on me dit de pas penser. Sinon je me perds. Je suis dans la lune on me dit souvent comme si j'étais pas de la terre alors je dis mais non mais non mais c'est comme si je disais rien, on me dit tout le temps ça dans la lune, mais bon si c'était vrai je serais pas comme ça, je serais d'une autre couleur. Là aussi je dois me taire, je dois me taire partout je pense que c'est mieux comme ça sinon ça ferait tellement de bruit si on parlait tous ensemble on s'entendrait plus. Alors des comme moi il en faut qui se taisent.

Je travaille. Je travaille toute la journée, elle dit que c'est comme ça la vie qu'il faut travailler pour le bonheur que c'est de se lever le matin et d'aller au travail et d'aider à la prospérité, elle dit comme ça je suis heureux alors hein si c'est que ça moi je travaille. Je dis comme elle de toute façon, elle comprend comme je suis. Je me réveille et j'ai du sommeil encore plein la bouche et je me lève pour le bonheur. Alors après je travaille.
Je suis à la viande pour le frigo et des fois quand je suis moins dans la lune je suis au conditionnement. Ça c'est le mieux à faire le conditionnement... Mais presque toujours je suis au frigo.
Alors j'ai du poids de viande sur les épaules et le dos tout rouge à cause du sang forcément ça dégouline et je vais dans la chambre froide, on dit la chambre froide mais c'est comme un frigo, et là j'ai des crochets au-dessus de la tête avec des chaînes et tout je dois accrocher la viande là-haut, je dis c'est comme un pendu, et après je vais en chercher un autre et sur mes épaules et ça recommence comme j'ai dit. Je travaille comme ça.
J'ai aussi un tablier blanc tout rouge à cause du sang.
J'ai aussi des bottes pour marcher vu que du sang y'en a partout des ruisseaux pour enjamber vaut mieux des bottes sinon ça tache et après elle dit que j'apporte du sang à la maison, elle aime pas ça le sang c'est comme la guerre elle aime pas, des fois elle s'évanouit si je lui raconte des détails de la journée elle est sensible, alors vaut mieux des bottes.
J'ai aussi des gants et un bonnet blancs.
Je suis tout blanc au début de la journée. Je dis si j'avais des habits rouges ça serait plus simple.

Au travail je suis le crétin, c'est comme si c'était mon nom vu que si on dit le crétin je me retourne.
Elle dit que c'est pas mon nom que je dois me défendre à cause de ça mais avec tellement de viande sur le dos pour se défendre c'est pas facile...

Moi je suis jamais à dire autre chose que bonjour et au revoir au travail, elle dit que c'est le plus important et qu'entre bonjour et au revoir on peut dire des choses comme pour le temps ou les femmes les enfants ou des choses comme ça mais moi je préfère pas dire plus. Vu qu'on se moque.
Alors et puis je suis comme si ma langue se retournait, je suis muet quand on se moque, je suis pas à rire ou à pleurer je suis comme une pierre quand on se moque. Alors vaut mieux pas dire plus.

Sinon je suis heureux comme elle dit je suis innocent, mais l'autre jour j'ai glissé et je suis tombé dans le sang dans le ruisseau et avec mes bottes et la carcasse qui me tombe encore par-dessus j'avais du sang dans les chaussettes et les cheveux et partout vu qu'elle m'a rien dit puisqu'elle est tombée elle aussi, mais pas dans le sang hein elle est tombée de peur à cause de tout le sang que je ramène. Là c'était pire que la guerre sûrement.
J'ai cherché pour son coeur mais du bruit y'en avait plus pour elle alors je m'inquiète.
Je dis que j'ai pas fait exprès pour le sang que j'ai sur moi et de tomber dans le ruisseau ça arrive à tout le monde, je dis que je le ferai plus vu que si elle est morte je préfère pas le refaire. Et je cherche son coeur dans ses bras dans sa tête je secoue je dis qu'on peut pas perdre son coeur comme ça que c'est pas possible, alors j'appuie sur son ventre et je souffle dans sa bouche et je compte comme je sais faire et alors elle se réveille pour me sourire et me disputer à cause du sang, forcément c'est tout à cause de ça...
Après je dois vite me laver avant qu'elle retombe on sait jamais alors je dis je me lave plus fort que d'habitude...

Je voudrais pas qu'elle me laisse comme ça tout seul.

Je l'embrasse des fois comme si j'étais son fiancé vu que je peux puisque je suis son amour elle m'a dit alors c'est dire comme je peux.
Alors je prends sa main et je l'embrasse où je veux, alors elle me dit arrête mais tout doucement avec son sourire comme si c'était continue ce qu'elle disait alors moi je continue. Je l'embrasse et on s'allonge dans le canapé et sa grande chemise elle l'enlève vu que je suis son fiancé.
Alors après je dois faire ce qu'elle dit et je dois pas dire ce qu'elle fait vu que c'est le secret elle m'a dit alors je dis pas, mais c'est comme un rêve ce qu'elle fait.
Après je dois aller me coucher et elle elle reste dans le canapé pour la télévision, sans sa chemise vu qu'elle est mieux comme ça pour la chaleur que c'est après le secret.
Moi je pense qu'elle est belle et que jamais je voudrai qu'elle s'en aille même pour la mort ou pour rien du tout vu que moi c'est du besoin que j'ai d'elle et c'est mon coeur qui craque si je pense à ça alors je dois pas y penser je me dis mais c'est plus fort que moi je pense.
Alors je reviens vers elle et je peux pas dormir je dis alors elle comprend et elle me serre mais si fort comme si je voulais partir, alors moi sans sa chemise je dis je t'aime. Je dis dans ma tête sinon ça ferait trop de vacarme si je le disais tout fort.

Je rêve. Je rêve que je suis dans un rêve. Je ronfle pour m'endormir et je pense à rien qu'à mon rêve. Alors après je suis dans la neige dans la montagne et je cours pour grimper tout en haut. Je cours. Je cours et je regarde là-haut pour arriver plus vite mais avec la neige sous mes pieds je glisse et toujours je redescends. Alors je cherche à m'agripper je m'accroche aux cailloux je m'écorche et je glisse toujours de plus en plus bas. Je vais tomber à force de glisser je me dis alors j'appelle et ma voix qui me revient et la montagne qui me parle avec les cailloux alors je crie pour pas glisser je dis je veux juste arriver en haut mais la neige sous mes chaussures alors je pense à enlever mes chaussettes. Les avalanches tout autour de moi j'ai la poussière de neige dans les yeux et la montagne qui me gronde je dis encore c'est pour la paix je veux pas aller là-haut pour la guerre. Alors je m'effondre avec les avalanches je suis dans la neige pour glisser tout en bas et je pense à mes chaussettes là-haut. Je dévale je tombe et c'est longtemps que je tombe c'est des heures et des heures alors je m'accroche à des branches et je m'arrête de tomber. Je suis dans l'arbre. Je suis à l'abri. Je vois les avalanches dessous. Alors je m'assois dans l'arbre et j'attends. Je suis comme un oiseau. Je pense à voler. Je vole. Et je monte tout en haut de la montagne. Je monte. Et c'est longtemps pour monter vu que j'ai des petites ailes comme des allumettes je dis je suis comme un minuscule. Alors j'arrive au sommet et je me pose sans glisser avec mes petites pattes. Et je suis moi. Alors je regarde et c'est du sang partout de l'autre côté je dis c'est des fleuves et des océans de sang que je vois. Alors je me frotte les yeux avec la neige et je regarde encore et c'est toujours la même chose alors je me dis c'est bien la peine. Alors je m'assois et je pleure comme de la glace et je reste là.
Après je m'en vais de mon rêve et je pleure quand même alors je dis mon rêve c'est comme si c'était vrai.

Moi pour la dernière fois je dis je veux un train alors elle elle dit non, c'est comme d'habitude non, alors je dis si mais c'est comme si je disais rien, je veux un train vu que je pourrais jouer comme ça avec un train on peut jouer je dis sans ça on peut jouer à rien alors c'est pas compliqué, mais c'est non encore c'est toujours non quand je veux quelque chose alors je m'énerve, sûrement je dis des choses et elle entend des choses et c'est jamais les mêmes, alors je pense à crier je dis mes étoiles je les casse et mes cadeaux je casse tout vu que je veux un train alors elle dit encore non, alors je vois plus rien vu que j'ai trop de sang ou des larmes ou des tourbillons dans les yeux, j'ai les bras comme des serpents et je pense à suicider je dis que ça sera de sa faute alors elle dit non pour m'énerver encore plus alors je cours je cours je me tape la tête sur le mur je dis comme ça c'est de sa faute si je me casse la figure et elle me tient pour m'arrêter mais pas si fort pour moi je suis plus fort qu'elle et je frappe dans les choses je casse la lampe et mes cadeaux j'en veux pas alors elle me tient les mains je suis comme un arbre elle me dit s'il te plaît et moi je tremble j'ai du sable dans la bouche pour m'empêcher je dis un train s'il te plaît je dis comme elle, j'ai mal à la tête j'ai du sang qui me coule sur le nez elle me tient les doigts j'ai sa main sur ma figure pour me guérir, alors elle me caresse les cheveux comme elle sait faire.
Elle dit rien.
Après je m'endors sur ses genoux.

Demain je travaille pas à cause de ma tête. Je suis malade elle dit alors je travaille pas.
C'est des mots que je comprends pas pour ma maladie, des noms comme des milles pattes à dire que c'est dans ma tête à force de frapper contre le mur ou des choses comme ça. C'est pas comme une maladie du cancer ou qui se voit sur la figure c'est dans la tête.
Alors je vois des docteurs et c'est des questions pour des heures qu'on me demande, et si je pisse au lit et si j'ai peur des araignées et si et si, moi je réponds quand je sais mais je sais jamais. C'est vrai des fois je pisse au lit mais le matin ça peut sécher, je dis je peux pas savoir si je pisse ou si je pisse pas. Et puis les araignées c'est les grosses que j'aime pas mais les petites ça me fait pas peur alors faut que je dise quoi ? Je réponds toujours à côté je suis sûr.
Elle dit que c'est pour m'aider toutes les questions mais si c'était pour m'aider j'aurais pas mal encore plus à la tête quand je sors.
Elle elle m'attend dans la salle exprès pour attendre avec des livres et du café, elle s'ennuie pas elle lit des magazines.
Alors des fois j'ai des fils sur la tête avec un écran qui sonne et des dessins pour dire ce qui se passe dans ma tête, ça j'aime pas vu qu'ils peuvent tout savoir ce que je pense alors je pense à des choses de rien du tout je fais semblant. Après je me rhabille et je dois aller ailleurs et on me donne des cubes et je fais des rectangles et des dessins.
Des fois je croise des gens, je dis rien vu qu'eux leur tête c'est comme une marmite c'est de la bouillie comme ils sont dans leur tête, alors je dis au docteur c'est pas comme eux moi je m'énerve un peu mais pas tellement sinon je reste là elle m'a dit, je dis juste calme que je veux rentrer chez moi vu que c'est vrai je veux pas vivre avec des docteurs et des fous de la marmite moi je suis pas comme ça.
Alors je fais encore des tests et après je rentre et je sais pas ce que j'ai vu qu'on me dit pas, elle elle sait mais y'a pas de petits noms pour dire ce que j'ai, alors c'est dans la tête voilà. Pour guérir elle dit je dois plus m'énerver je dois plus frapper ma tête comme ça ou rien alors je dis oui mais c'est simple, je dis avec un sourire comme je sais faire des fois, c'est simple : je veux un train. Alors elle soupire. Elle soupire souvent comme ça, elle a trop d'air peut-être ou c'est quand je l'exaspère. Elle dit toujours ça je l'exaspère, c'est comme un nom de maladie ça.

Alors par exemple moi j'ai des grains de beauté, elle dit que ça veut rien dire qu'elle a déjà vu des grains de beauté sur des gens moches et donc ça veut rien dire. Mais moi je pense pas comme elle des fois, je dis que sûrement ça veut un peu dire quelque chose vu que sinon ça s'appellerait pas comme ça ça s'appellerait grains tout court ou autre chose, alors elle me dit que non et moi que oui et c'est des heures à oui et non pour nous deux alors à la fin elle soupire et elle dit tu m'exaspères.
Après elle s'arrête de parler pour longtemps comme si j'étais pas là sans me regarder ni rien comme si j'existais plus, alors moi je parle quand même je dis des choses vu que je suis là... Mais elle répond pas. Des fois je suis comme un fantôme pour elle. Alors je m'en vais d'elle vu que de toute façon c'est comme si j'étais transparent...
Je descends les escaliers tout doucement, si elle se souvenait tout d'un coup que je suis là elle ouvrirait la porte et elle me dirait excuse-moi ou quelque chose pour que je rentre et je rentrerais ça c'est sûr. Je dis c'est ce que je pense en descendant mais elle ouvre jamais la porte.
Alors je vais dans la rue et je mets mes mains dans mes poches et je marche. Je marche sur le trottoir, j'ai des vitrines et des enseignes et des réverbères dans les yeux pour m'éblouir et des phares jaunes et blancs, je pense à des choses par millions qui m'arrivent dans la tête, je me cogne contre des gens des fois vu que je suis trop dans la lune on me dit alors je dis sûrement c'est la maladie alors je fais attention je marche où je peux je veux pas écraser...
J'ai mon manteau sous le menton je souffle du froid c'est l'hiver, les rideaux des magasins c'est en fer et grincent alors je dis c'est comme les sirènes et les alarmes et les klaxons je me bouche les oreilles encore à cause je pense à tout à la fois elle je, pour les vitrines c'est pas pareil vu que c'est en verre et la rue comme un ver de terre je peux danser ou dormir si je veux. Je suis à l'envers de tout mais je me gare pas comme les voitures, j'avale le caniveau je suis en béton je chante comme un crapaud, je cogne dans les gens encore je elle à cause je dis excusez-moi vu que c'est tout à cause alors j'enlève mes chaussures comme dans mon rêve je glisse trop dans la rue j'ai peur des avalanches. Les voitures devant moi j'ai pas de phares alors les klaxons et les pneus comme des sirènes je dois pas être là on me dit ça va pas je dis rien je vois des choses à l'intérieur je traverse je passe au feu rouge et le sang ça me fait pas peur moi j'ai des médicaments je suis malade je peux compter sur les doigts de ma main je peux dire que je sais je traverse et les voitures en vitesse sur la rue j'évite et je crie vu que j'ai pas de klaxon et j'arrive de l'autre côté. J'ai des gens qui me disent me disent ça va pas alors je pense à tout je elle je pense à tout j'essuie je transpire et j'ai des cris dans la tête alors je tombe et je ferme les yeux pour garder mes cris dedans je veux dormir je dis je suis fatigué. J'ai des gens qui me portent je suis comme un petit je m'endors doucement comme si j'étais jamais venu dans le monde.

Après j'entends la pluie qui tombe, les gouttes.
Je suis couché et j'entends.
La pluie qui tombe.
J'entends des voix et des chaussures des portes qui claquent loin de moi. Je suis ailleurs je me dis dans une bulle alors j'ouvre les yeux et c'est tout blanc au-dessus de moi comme le soleil en face, je dis je peux pas regarder longtemps alors je ferme les yeux et petit à petit je m'habitue.
J'ai des voix autour de moi maintenant, on me demande pour des choses que je comprends pas, moi je pense à elle pour savoir où elle est je demande. On me répond pas. Alors je suis où je dis vu que je sais pas mais j'ai plus de voix autour, je suis tout seul avec la pluie et la porte qui claque un peu. Je veux je dis je veux voir ailleurs si elle est là. Je crie pour appeler, j'essaye j'essaye de bouger mais j'ai les bras coincés je peux pas je dis s'il vous plaît comme elle dit. Rien. Alors je m'énerve je crie plus fort je secoue et je peux regarder plus. Je suis dans une chambre et je vois des docteurs dans le couloir, je dis je veux partir je crie mais c'est comme si je disais rien alors je m'effondre. Je dis dans ma tête je suis pas comme ça. Je dis je veux qu'elle soit là.
Après je pleure.
Après je me réveille encore et j'ai un docteur à côté je dis je veux pas rester je dis je suis pas comme ça alors il dit que je dois me reposer et il me donne un médicament alors j'avale et je dis rien vu que je suis trop fatigué.
Après je m'endors.

Des fois je me réveille et c'est la nuit. Je sais jamais quand c'est l'heure. J'attends qu'elle soit là.

Des fois je rêve qu'elle s'assoit à côté de moi et elle me prend la main et elle me dit viens alors je viens et on s'en va pour dehors dans mon drap je cours derrière elle je ris je rigole pour le bonheur que c'est de la voir alors j'enlève mon drap et je fais le secret avec elle et je me réveille et c'est jamais qu'elle est là alors je crie je hurle vu que je suis pas comme ça je dis les docteurs dans ma chambre et me piquent alors je m'endors et je rêve d'autre chose. Je rêve du noir à cause.

Je mange dans mon lit elle disait avant que je dois pas le faire vu que les miettes et tout ça tombe dans le lit et c'est dégoûtant elle disait, mais là c'est comme ça je mange dans mon lit.

Je peux pas sortir à cause de ma maladie. Je regarde dehors des fois par la fenêtre. C'est la pluie ou la neige ou le soleil. Je pense bientôt elle sera là. Pour attendre je compte les orages, je compte un deux...

D'abord je pense à respirer. Puis je pense à elle. Je pense à elle. J'ai de l'air autour de moi je mets mes bras mes jambes comme une croix je suis au départ. Je dis je prends ma langue avec mes dents je mords je meurs. Je veux penser à elle et sa chemise comme un drap je veux m'accrocher je suis en équilibre sur le monde sur le toit sur elle je. Je suis pour elle et contre elle je suis comme un loup vu que j'ai les dents pour mordre je pense à la guerre comme elle dit c'est la guerre tout le temps dans les informations. Et je saute. Je lâche. C'est ma tête en bas. J'ai des courants d'air dans les oreilles qui sifflent et me percent à crier. Je crie. J'ai ma bouche ronde et ma langue sous mes dents je mords je suis à voler je m'approche des lumières je regarde par la fenêtre j'ai des yeux pour le minuscule je peux voir les docteurs et l'hôpital qui défile. Je pense à la cave à ma chambre à l'école je suis comme un enfant je chante ce qu'on me dit je suis à l'ordre je range et je dérange je suis à la cave pour les punitions je suis à battre on me dit tais-toi je dis oui je dis toujours oui j'ai des croûtes sur les genoux dans le dos vu que je suis à battre donc je suis toujours à la cave alors je dis des fois je dis dans ma tête papa pour savoir pour être sûr et je garde mes mains contre ma figure et j'ai peur à pisser. Je pense à mes fesses à regarder dans le miroir je pense à je suis muet dessous la table je suis à gratter par terre je suis à attendre pour manger je ramasse ce qui tombe. Je pense à elle à ses mains sur mon ventre pour le secret je veux revenir je veux retourner je m'accroche mais c'est trop vite l'air qui siffle et les lumières à s'approcher de moi j'arrive. Je pense à je suis comme un homme dans la cave je pleure sinon je tape ma tête sur le mur et je pense à tomber sur le sol je me casse la figure et le reste sur la route je mords je meurs je coupe toute ma langue et je pense vite vite à elle je t'aime je dis avec le sang dans ma bouche je fais des bulles je ferme mes yeux pour garder tout dans ma tête et je sens ma langue qui tombe à côté de moi je me tais.