Quatre découpes

Claude Ber

Découpe 1

Le petit, le minuscule indécis d’exister. Qui s’effraye du spectacle de sa destruction. Dans l’arche muette des aimés disparus, une pierre absente. Et un magnolia. L’arrière du mutisme. Dans son murmure ou sa faconde. Identiquement hors jeu et hors joue. Dans l’outrepassé de la bouche. Tel un basculement venu des bords. L’incurvé d’un espace inadmissible. Une trappe dans le front. D’où sortent des histoires d’idiot du village et des moineaux. Le socratique taon d’Athènes. La vigilance. Un bric-à-brac bouffon de fin de millénaire. Comme dégorgent les escargots entre les grilles d’un panier à salade rouillé, le jus du langage.





Découpe 2

L’odeur de parfum et de sueur. Des mots chuchotés. Le touffu du temps. Puis son dépouillement. L’escalator chenille profond sous le hall de la gare. Sa lenteur cérémonieuse porte la cavalcade des voyageurs pressés avec l’emphase d’une procession. Le ralenti les fige estompés et flous sur les parois de plaques métalliques. Fresque lointaine qui s’interrompt par pauses. Par durées d’acier étincelantes et vides. Une évidence dans la disparition. L’absence de drame et de douleur. Un glissé cinématographique sur l’écran immobile du temps. En sandwich entre le piétinement agité du dessus et d’en bas. Dans un retrait contemplatif. L’apesanteur. La fascination des anges et des aéronefs. Le luxe d’une ascension pour rien. Sans ciel ni chute. L’innocence métaphysique de l’escalator.





Découpe 3

Il bruine une pluie fine sur les palmiers et les pins à pignons. Leurs branches ont des frémissements d’oiseau posé. Le ruissellement des gouttes le long des troncs. Avec son piquettis de cascade aussi visuel que sonore. Du bec contre une écorce. Ou un claquement de mandibules branchées aux amplis d’une sono. C’est du micro macro entrecroisés. Et même confondus. Le cosmos capturé dans la boîte de conserve que j’ouvre en tirant sur la boucle du couvercle. Et cette même boucle en bague au doigt. L’anneau dans la quille chavirée. L’arc-en-ciel de la nouvelle alliance. Dans le trottinement empressé de la pluie. Sa hâte d’en finir de rentrer sous la terre. Pour la latérite de l’esprit et le dessèchement du cœur quelle pluie ? Je bois à la bouteille un fond d’avenir. Une rasade d’eau gazeuse à goût de plastique. Et je contemple le lointain du point de vue d’une aire d’autoroute. Sous l’angle du dénudé. Une plaque grise de ciel pluvieux, une plaque grise de bitume. Et entre les deux la minuscule frise d’arbres bonzaï qui en soude le zinc.





Découpe 5

Avec le pull je plie un corps absent. Un corps vêtu d’absence. Virtuellement possible. Dans l’intimité de son odeur entre les mailles. Présence tricotée par mes mains qui arrachent machinalement les brins de peluche à l’usure des coudes et des poignets. Je picore du bout des doigts de la disparition.